Conférences plénières

XIVème colloque de l’AICLF – Descriptif détaillé des conférences plénières:

  • Sid ABDELLAOUI, Université de Lorraine, Nancy, France

Le pouvoir du « populaire » : quand le savoir naïf finit par se substituer au savoir expertal lors du procès d’assise.
Il est plus courant de s’interroger sur le regard que tout individu peut porter sur telle ou telle réalité que sur sa nature sociale et son potentiel conflictuel. Le procès d’assise est le théâtre où se croisent des opinions, des savoirs de tous ordres, parfois fondés et souvent naïfs, mais également des sentiments et des intérêts plus ou moins légitimes et discutables. Face au mis en cause et aux faits criminels, la façon dont le jury façonne ou construit son jugement est nécessairement dépendant de ces facteurs. Les nombreux biais qui en découlent et auxquels il est souvent difficile voire impossible d’y échapper, constituent nul doute une raison de devoir interroger le processus de décision dans sa globalité. Ceci, à commencer par la façon dont la maladie mentale est appréhendée par et au sein de notre environnement social, régie par toute une série de mécanismes souvent complices de lourdes dérives. En guise d’illustration, nous montrerons dans quelle mesure l’expertise psycholégale est loin de suffire à permettre au jury populaire en particulier, plus de clarification dans les débats et plus de facilité dans la décision. Ainsi, l’accès aux savoirs soutenus par une démonstration scientifique des processus en jeu dans le passage à l’acte criminel ne peut trouver son sens que s’il s’accompagne d’une mise à distance critique de tout ce qui l’entoure du point de vue des enjeux idéologiques et socio-identitaires.

Biographie :
Docteur en Psychologie, Professeur des Universités, Expert auprès des tribunaux et Vice-Président de l’Association Française de Criminologie. Ses thèmes de recherche touchent aux processus identitaires, la discrimination intergroupe, les stéréotypes, la gestion des conflits interpersonnels et intergroupes, le jugement moral et les mécanismes de transgression, les stratégies d’adaptation, sentiment de responsabilité, les processus de médiation sociale ainsi que l’expertise psycholégale.

 

  • Martin BOUCHARD, Université Simon Fraser, Vancouver, Canada

La structure sociale des réseaux illicites sur Internet
On sait maintenant que l’arrivée du Web a complètement changé la donne en ce qui concerne l’exploitation des jeunes à des fins sexuelles, alors que pédophiles et autres amateurs de pornographie juvénile profitent désormais de la toile pour consommer, distribuer, échanger du matériel. Ils profitent également de ces réseaux pour « socialiser » avec d’autres qui partagent leur intérêt, ce qui permet d’intégrer pour la première fois ce type de crime à ceux associés à la co-délinquance. Les effets facilitants de l’Internet s’étendent également aux forums de discussion prônant le recours à des actes terroristes pour faire avancer une cause. On connaît encore mal les implications théoriques, empiriques et pratiques du développement et de l’accès à ces forums de discussions sur les opinions perceptions des participants, leur évolution au fil de temps, ou sur les comportements « offline ». De nouveaux outils de collecte de données doivent être mis en place afin d’exploiter à la fois le caractère virtuel du contenus et des interactions entre participants, mais également le fait ces interactions s’effectuent dans le cadre de réseaux et communautés virtuelles dont les contours restent encore à tracer. Dans cette présentation, j’aborde ces questions dans le cadre de nos recherches récentes mettant à profit des robots d’indexation (web-crawlers) qui permettent de cartographier les réseaux, d’en analyser leur contenu, d’en extraire les acteurs principaux et de suivre leur trajectoire en ligne, et d’en identifier les vulnérabilités. J’exposerai en outre ce que l’on a appris sur la structure sociale des communautés virtuelles spécialisées dans la pornographie juvénile et celles dédiés au soutien d’organisations terroristes.

Biographie :
Martin Bouchard est professeur agrégé de criminologie et directeur de l’International Cybercrime Research Centre à Simon Fraser University. Il est aussi Directeur adjoint de TSAS : The Canadian Network for Research on Terrorism, Security, and Society. Il a auparavant obtenu son doctorat de l’Université de Montréal en 2006 avant de poursuivre des études postdoctorales à l’University of Maryland. Dr. Bouchard s’intéresse notamment à la structure sociale des marchés illégaux et aux effets du capital social sur les trajectoires délinquantes de toutes sortes. En plus d’avoir co-édité deux livres sur ces questions, ses travaux ont été publiées dans le cadre de plus de 40 articles scientifiques depuis 2005, y compris dans les revues telles que Journal of Quantitative Criminology, Journal of Research in Crime and Delinquency, Justice Quarterly, et Social Networks. En 2013 il a obtenu le prix d’excellence du Doyen Arts et Sciences à Simon Fraser University soulignant la qualité son mentorat auprès des étudiants des cycles supérieurs.

 

  • Natacha BRUNELLE, Université du Québec à Trois-Rivières, Canada

Trajectoires déviantes des jeunes du Québec : portrait adapté à leur réalité actuelle?
La réalité actuelle des adolescents est tout autre que ce qu’elle était il y a 20 ans ou même 10 ans. Pour comprendre leurs trajectoires déviantes aujourd’hui, il faut considérer l’impact des technologies, particulièrement Internet. Au-delà de la délinquance et de la consommation de substances psychoactives, il faut aussi ajouter au portrait déviant des jeunes leurs habitudes de jeux de hasard et d’argent sur Internet et de cyberdépendance. Leurs prévalences, leurs associations, leurs facteurs de risque, mais aussi leur évolution au cours de l’adolescence et ce qui explique le maintien ou le changement dans leurs parcours. Bien qu’une majorité s’adonne à ces comportements au cours de l’adolescence, que savons-nous au sujet de la minorité de jeunes qui développent des problèmes importants avec ces conduites déviantes? Quelles sont les connaissances à développer sur ces questions. L’auteure propose un bilan des connaissances actuelles et des résultats de ses études sur ces questions.

Biographie :
Natacha Brunelle, Ph.D en criminologie, est professeure titulaire au Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les trajectoires d’usage de drogue et les problématiques associées. Elle est également chercheure régulière au Groupe de recherche et d’intervention sur les substances psychoactives-Québec (RISQ), à l’Institut universitaire sur les dépendances (IUD) et au Groupe de recherche et d’intervention sur l’adaptation psychosociale et scolaire (GRIAPS). Elle s’intéresse principalement aux trajectoires d’usage de drogues des adolescents, aux trajectoires de réadaptation des toxicomanes, aux liens drogue-crime, ainsi qu’aux liens entre la consommation de substances psychoactives, la délinquance et les jeux de hasard et d’argent. Elle s’intéresse également à la consommation de substances psychoactives dans les territoires Inuit canadiens.

 

  •  Olivier DELEMONT, Université de Lausanne, Suisse

La police scientifique au-delà de ses frontières actuelles : la perspective de nouvelles connaissances.
Essentiellement centrée sur le développement de nouvelles techniques et instrumentations, ainsi que sur la structuration de moyens de preuve et leur quantification pour la justice, la communauté forensique tend à se renfermer sur la reproduction de ses propres formats. Elle en oublie les fondements de la police scientifique, elle qui dès ses prémices a prôné l’application d’une démarche scientifique pour l’exploitation des traces matérielles lors d’activités criminelles, mais également au-delà, comme vecteur de connaissance sur des problèmes de nature réglementaire, civile, sécuritaire, de santé publique, etc. Depuis quelques années, un mouvement s’est amorcé, tentant de se réapproprier les schémas de construction transdisciplinaire de connaissance mêlant la science forensique, entre autres, à la criminologie. L’exploitation des traces matérielles et de l’information qu’elles peuvent convoyer, peut dévoiler de nouvelles perspectives : cristalliser des indicateurs pour comprendre l’ampleur et la dynamique de certains phénomènes, ou servir de base à une étude phénoménologique par la reconstruction et la résolution de cas. Cette présentation traite de cette vision de la police scientifique, au-delà de ses frontières actuelles, et en propose des illustrations concrètes comme les travaux relatifs à l’utilisation de traces de stupéfiants dans les eaux usées en tant qu’indicateurs d’une tendance, ou les enseignements découlant d’investigations menées suite à des sinistres fatals dans des établissements carcéraux.

Biographie :
Olivier Delémont est professeur associé en science forensique à l’Ecole des Sciences Criminelles de l’Université de Lausanne. Ses intérêts de recherche se répartissent sur diverses dimensions de la science forensique comme l’investigation de scène de crime ou d’événements majeurs (notamment incendies ou explosions), le rôle des traces matérielles dans l’enquête policière, la contribution de la science forensique dans la résolution de problèmes (p. ex. pollutions environnementales) ou l’utilité de la trace matérielle dans la construction transdisciplinaire de connaissances. Il a en outre participé à la mise en place de la maîtrise en traçologie et analyse de la criminalité de l’Université de Lausanne, développée et proposée conjointement avec l’Ecole de Criminologie de l’Université de Montréal.

 

  • Raoul KIENGE KIENGE, Université de Kinshasa, République Démocratique du Congo

La justice pénale et la gestion de la violence urbaine des jeunes en contexte de porosité frontalière en Afrique centrale (R.D.Congo – Angola – République du Congo)
Face aux limites de la justice pénale dans la gestion de la violence des jeunes en milieu urbain, communément appelée Kuluna en R.D.Congo, une analyse diachronique de cette violence suggère son internationalisation dans un contexte de porosité frontalière et de conflit armé en Afrique centrale, particulièrement entre l’Angola, d’où elle fut importée, la République Démocratique du Congo (Kinshasa), où elle est mise en œuvre, et la République du Congo (Brazzaville) où les jeunes trouvent momentanément refuge pour échapper à la répression policière. Alors qu’une analyse herméneutique du discours des jeunes concernés montre sa relation, sur le plan symbolique, avec la guerre aux frontières Est de la R.D. Congo avec le Rwanda. En effet, dans le discours des jeunes impliqués dans cette violence, les quartiers sont subdivisés en référence en partie Est où les conflits armés sont récurrents et en partie Ouest (non concernée par les conflits armés). Au regard d’une telle complexité, la gestion de cette violence semble requérir la définition et la mise en œuvre d’une politique criminelle de sécurité des droits socioéconomiques, civils et politiques des jeunes citadins, plutôt qu’une simple politique de sécurité publique.

Biographie :
Professeur à la Faculté de droit, au département de Droit pénal et de Criminologie, de l’Université de Kinshasa en République Démocratique du Congo, Raoul Kienge-Kienge Intudi est également Professeur invité à l’École de criminologie de l’Université de Lubumbashi (R. D. Congo) et Professeur invité à la Faculté de droit de l’Université Marien NGOUABI à Brazzaville (en République du Congo) où il assure les enseignements de droit pénal approfondi en Master II. Il est directeur du Centre de Criminologie et de Pathologie Sociale rattaché à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa. Il est auteur notamment de l’ouvrage intitulé : Le contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Une approche ethnographique en criminologie (Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2010).

 

  • Stephan PARMENTIER, Katholieke Universiteit Leuven, Belgique

Les entreprises internationales prises entre les affaires et les crimes internationaux : bilan et perspectives
Les conflits armés dans beaucoup de parties du monde vont de pair avec des violations massives des droits de l’Homme commises par différents types de délinquants et comportant un grand nombre de victimes. Un certain nombre de ces violations équivalent à des crimes internationaux comme des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides (voyez le Statut de Rome de 1998). Quand on s’intéresse aux auteurs de tels crimes, il apparaît que le plus gros de l’attention est dirigé, d’une part, sur les individus qui les ont commis et, d’autre part, sur les agences gouvernementales qui organisent ou qui laissent faire ces crimes avec, entre les deux, des groupes paramilitaires et d’opposition. On est frappé que très peu voire aucune attention ne soit portée aux acteurs économiques comme le milieu des affaires et les entreprises, petites et grandes qui peuvent y être impliqués de tas de manières. L’objet de cette conférence sera de s’intéresser aux actes de criminalité internationale commis ou admis par ces milieux ou entreprises dans les conflits armés. Dans cette présentation, l’implication du milieu des affaires et des entreprises dans les crimes internationaux sera envisagée selon trois dimensions. La première mettra l’accent sur l’identification des acteurs et des différents types d’actions dans lesquelles ils sont engagés, la seconde essayera de comprendre leurs comportements en s’appuyant sur les théories criminologiques anciennes ainsi que plus récentes. Dans la troisième partie, plusieurs pistes sont explorées en vue de prendre des mesures contre ces crimes internationaux.

Biographie :
Stephan Parmentier a étudié le droit, la science politique et la sociologie aux universités de Gand et Leuven (Belgique), la sociologie et la résolution de conflits à l’Humphrey Institute for Public Affairs, University of Minnesota-Twin Cities (U.S.A.). Actuellement, il enseigne la sociologie du crime, du droit et des droits de l’Homme à la Faculté de droit de l’Université de Leuven, où il a dirigé le Département de Droit pénal et de criminologie (2005-2009). Chargé des relations internationales en criminologie à l’université de Leuven, il a été désigné Secrétaire-général de la Société internationale de criminologie en juillet 2010. Il est également membre du Conseil consultatif de  l’Oxford Centre of Criminology et de l’International Centre for Transitional Justice (New York), ainsi que du Conseil exécutif de l’International Institute for Sociology of Law (Oñati). Il a fréquenté plusieurs universités et instituts de recherche comme Professeur invité (Oñati, San José, Sydney, Tilburg, Tokyo), Professeur visiteur (Oxford, Stellenbosch, Sydney) et Conférencier invité dans les champs des droits de l’Homme, la criminologie et les études socio-juridiques. Stephan Parmentier est le fondateur et l’éditeur co-général de la Series on Transitional Justice (Intersentia Publishers, Cambridge/Antwerp), et éditeur de la récente Restorative Justice International Journal (Hart Publishing, Oxford). Il co-dirige le  Flemish Interuniversity Network on Law and Development et co-organise un cours d’été consacré aux Human Rights for Development. En outre, il a été conseiller pour le Comité européen pour la prévention de la torture, le ministre belge de l’Intérieur, la police fédérale, la Fondation Roi Baudouin et Amnesty International. Ses intérêts scientifiques incluent la criminalité politique et la justice transitionnelle, les droits de l’Homme, la justice réparatrice et la construction de la paix. De 1999 à 2002 il a été vice-président de la section flamande d’Amnesty International.